Publié le 8 novembre 2019 par Frédéric Fortin
Dans le cadre du plan Blanquer contre les violences
scolaires présenté à la dernière rentrée, une circulaire enjoint
académies, établissements scolaires, parquets et forces de sécurité
à redynamiser leur partenariat. Le texte invite également les procureurs à la sévérité.
Près de 340 « incidents graves » ont été déclarés
chaque jour en France par les chefs d’établissement des seuls collèges
et lycées publics durant l’année scolaire 2017-2018 (voir encadré
ci-dessous). Un phénomène en pleine expansion, à en
croire la circulaire conjointe des ministres de la Justice, de
l’Intérieur, de l’Education nationale et de l’Agriculture relative à la
lutte contre les violences scolaires qui vient d’être publiée. Le texte
daté du 11 octobre fait état de « la multiplication,
depuis l’automne 2018, d’actes d’une particulière violence, parfois
accompagnés d’exhibition d’armes factices ou réelles, tant à l’encontre
de personnels enseignants qu’entre élèves ». Annoncée lors de la
présentation du plan de lutte contre les violences scolaires
le 27 août dernier, cette circulaire vise en particulier à
« redynamiser » les dispositifs partenariaux « mis en place de manière
hétérogène sur le territoire » entre services de l’Education nationale,
autorité judiciaire, forces de l’ordre et… collectivités territoriales,
qui ne sont toutefois ici que très indirectement évoquées.
Renforcer la coordination
Dans le cadre du plan Blanquer, une convention
Éducation nationale-Justice-Intérieur-Agriculture et Alimentation devait
être établie dès la rentrée 2019 dans chaque département, pour
« préciser les rôles et responsabilités de chacun, assurer
un signalement et un traitement rapides des infractions les plus
graves, mieux articuler les sanctions judiciaires et éducatives ». Des
conventions dont, souligne la circulaire, « la préparation comme la mise
en œuvre permettent de nouer une relation de confiance
entre partenaires, notamment grâce à une meilleure identification des
acteurs ». Il est vrai que ces derniers sont nombreux. Les ministres
rappellent ainsi que des référents « violences scolaires » doivent être
désignés dans chaque département par les directeurs
académiques des services de l’Education nationale (Dasen), mais aussi
dans chaque juridiction, dans chaque établissement scolaire et dans
chaque service de police ou de gendarmerie nationales. Un référent
« quartier de reconquête républicaine » – qui par ailleurs
« devra spécifiquement faire l’objet d’actions de sécurisation aux
abords des établissements » – devra en outre être désigné dans les unités
et services des forces de sécurité, avec pour objectif d’adapter le
dispositif de sécurité au contexte local, « en lien
très étroit » avec les chefs d’établissement qui seront « désormais
présents dans chaque conseil de secteur ».
Cette coordination de l’ensemble de services devra
également être déclinée localement au sein des instances partenariales
existantes, telles que les conseils intercommunaux/locaux de sécurité et
de prévention de la délinquance (CI/LSPD),
les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) ou les
cellules de coordination opérationnelle des forces de sécurité
intérieure (CCOFSI). Les Dasen sont par ailleurs invités à veiller à une
meilleure représentativité des établissements scolaires
au sein de ces instances. Il est demandé aux préfets et procureurs de
consacrer annuellement une réunion de l’état-major de sécurité au thème
de la violence dans les établissements scolaires, incluant ceux sous
tutelle du ministère de l’Agriculture.
Enfin, des partenariats devront également être
proposés à l’enseignement privé, notamment avec les directions
diocésaines de l’enseignement catholique, et pourront également être mis
en œuvre au niveau de chaque direction régionale de l’alimentation,
de l’agriculture et de la forêt (ou DAAF le cas échéant), autorité
académique régionale des établissements publics d’enseignement agricole.
Des conventions concrètes
La vocation pédagogique de ces conventions est
soulignée. Leur réactualisation doit être ainsi l’occasion de préciser
les modalités pratiques de signalement d’une infraction pénale ou d’un
dépôt de plainte… mais aussi de rappeler que tout
fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la
connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en aviser sans délai le
procureur de la République. Des modèles types de signalement pourront
ainsi y être « utilement » annexés. Les conventions
devront en outre préciser l’articulation entre réponse disciplinaire –
que deux décrets ont récemment renforcée – et judiciaire, notamment par
l’identification des critères d’information du procureur, de dépôt de
plainte auprès des services d’enquête et de
détermination des éléments utiles à transmettre.
Les chefs d’établissement sont invités à informer
l’autorité judiciaire des éventuels antécédents disciplinaires des mis
en cause. De leur côté, les procureurs de la République veilleront au
retour d’information sur les suites réservées
aux faits signalés par l’Education nationale. Les conventions pourront
ainsi rappeler les obligations incombant en la matière aux magistrats et
prévoir le déplacement trimestriel du référent justice de l’Education
nationale au bureau d’ordre du parquet ou
le fait de dédier une adresse mail à ces demandes d’informations.
Invitation à la sévérité
Si « toute décision prise à l’égard d’un mineur
devra tendre à assurer son relèvement éducatif et personnel en
privilégiant les réponses à dimension pédagogique », les parquets
« veilleront à recourir à la circonstance aggravante » lorsque
la victime a la qualité de « personne chargée d’une mission de service
public » et lorsque les faits sont commis dans un établissement scolaire
ou aux abords de ce dernier. Pour les faits d’une particulière gravité,
une présentation systématique des auteurs
au tribunal, dans le cadre de procédures rapides, devra être
privilégiée. Pour les faits les moins graves (justifiant tout de même
une réponse pénale !) commis par des mineurs, une réponse à visée
éducative devra être mise en œuvre « par des professionnels
spécifiquement formés », privilégiant mesures de réparation ou travail
d’intérêt général en milieu scolaire, complétés le cas échéant par des
stages de citoyenneté, en se rapprochant des services de protection
judiciaire de la jeunesse.
Par ailleurs, s’agissant des agressions sur les
personnels de l’Education nationale, autorité judiciaire et forces de
l’ordre veilleront à ce que la dénonciation des faits soit
« systématiquement complétée d’une plainte déposée par la victime
et de son examen médical, afin de déterminer une éventuelle capacité de
travail ».
Des victimes prises en charge… et indemnisées
Les élèves victimes devront bénéficier d’un
accompagnement immédiat, qui pourra s’inscrire dans le cadre des
dispositifs d’aide aux victimes œuvrant dans les commissariats de police
et brigades de gendarmerie ou dans les dispositifs de
médiation mis en place dans certains établissements scolaires, en
partenariat avec les forces de sécurité. Dans tous les cas, les
modalités devront être définies en liaison étroite avec les procureurs.
En outre, les circuits d’indemnisation des victimes
– y compris les établissements scolaires – devront être rappelés et
utilisés, en s’assurant de l’effectivité des avis à victime et des avis
d’audience à l’agent judiciaire de l’État pour
le recouvrement des créances de l’État. Et la circulaire de rappeler
que le principe de responsabilité des parents du fait de leur enfant
mineur permet au chef d’établissement, lorsque les biens ont fait
l’objet de dégradations, d’émettre un ordre de recette.
Quelques chiffres
La dernière enquête Sivis indique que les chefs
d’établissement du second degré public ont déclaré en moyenne 13,4
incidents graves pour 1.000 élèves au cours de l’année scolaire
2017-2018 (le nombre atteint 22,3 dans les lycées professionnels).
Le ministère de l’Education nationale recensant 4.436.900 élèves du
second degré dans le secteur public (L’éducation en chiffres – 2018), et
avec environ 175 jours scolaires ouvrés, on peut en déduire ce nombre –
très approximatif – d’incidents graves journaliers.
La France n’est pas la seule touchée par le
phénomène. D’après l’enquête Talis 2018 de l’OCDE publiée récemment,
« les déclarations [des chefs d’établissement] d’incidents réguliers liés
à des actes d’intimidation ou de harcèlement entre
les élèves […] surviennent au moins une fois par semaine dans 14% des
établissements en moyenne dans les pays de l’OCDE ». Pour la France, dans
le peloton de tête, l’enquête fait état d’un taux de 27,2% (il était de
21,2% lors de la précédente édition de 2013).
« C’est un sujet de préoccupation […] étant donné l’impact persistant de
l’intimidation et du harcèlement sur le bien-être, la confiance et la
réussite des élèves qui en sont victimes, ainsi que des conséquence
potentiellement dramatiques », souligne-t-elle.
L’enquête relève par ailleurs que « 3% des
établissements [sont] confrontés au moins une fois par semaine à des
problèmes d’intimidation ou d’agression verbale envers des enseignants
ou des membres du personnel ». En ce domaine, la situation
de la France se situe dans la moyenne, sans évolution par rapport à
2013. À noter toutefois que la circulaire fait état d’une
« multiplication, depuis l’automne 2018, d’actes d’une particulière
violence, parfois accompagnés d’exhibition d’armes factices ou
réelles, tant à l’encontre de personnels enseignants qu’entre élèves ».